Les pauses qui rythment le temps de travail sont des moments faisant l’objet de peu d’analyses ou de commentaires. Pourtant, si elles sont d’abord une obligation légale (l’article 3121-16 du code du travail imposant une pause de 20 minutes toutes les 6h), elles sont bien plus que cela… Qui n’a pas déjà observé la grande transhumance des fumeurs un matin d’hiver, quittant les rivages réchauffés des bureaux vers le grand froid des trottoirs ? ou le rituel du matin autour de la machine à café ?
D’abord de l’agacement… Evidemment de la part des managers, qui doivent veiller à ce que les pauses soient raisonnables et comment faire sans passer pour le flic de service ? Mais aussi de la part des non fumeurs, qui pourraient constater que le fait de fumer est souvent le prétexte à multiplier les sorties, parfois longues pour peu que l’accès aux endroits prévus (dehors…) passe par l’ascenseur…
Mais les pauses sont aussi un moment incontournable pour connaître les dernières nouvelles de la vie sentimentale des collègues, de la dérouillée qu’aurait pris le directeur des achats au précédent Codir et des dernières rumeurs sur la prochaine réorganisation… Qu’importe que ces sujets soient futiles ou croustillants, ils sont un moment majeur de la vie de l’entreprise pour autant que les femmes et les hommes n’aiment rien tant que de s’observer et commenter les faits et gestes de leurs semblables.
Ceux qui ne prennent pas de café ou ne fument pas peuvent rapidement se retrouver dans une situation inconfortable, celle de ne pas connaître le fonctionnement de l’entreprise dans sa dimension intime, de ne pas être intégré, et de finalement se retrouver en marge …
Le café du matin est ainsi un véritable rituel permettant de séparer la vie « civile » de la vie d’entreprise. Les rituels scindent les différentes vies que nous avons (citoyen, parent, salarié…) et permettent aussi l’émergence de la communauté de travail.
L’ensemble de ces moments permettent au collaborateur de se sentir faire partie d’un collectif, génère du gratuit dans un univers où l’utilitaire semble dominant, instaure des relations qui peuvent faciliter le reste de la journée, déterminent des préférences, voire des clans, et structurent donc la communauté de vie, facilitent la communication, en direction des managers en particulier : la neutralité du lieu, la pratique mieux acceptée à ces moments-là de l’humour ou de la taquinerie peuvent permettre de faire passer certains messages de manière plus informelle mais très efficace.
Si l’on adhère à la dimension déterminante de ces moments réguliers de pause comme structuration d’un collectif, circuit d’expression et d’information informel, possibilité pour le collaborateur de n’être pas considéré que dans sa dimension directement utilitaire mais holistique et finalement pour l’entreprise de pouvoir se déployer comme un univers incarné et dont la finalité n’est pas seulement le profit, alors il faut prêter attention à ces moments. Ne pas les considérer comme une contrainte légale, ou comme une source de pertes de productivité. Et y prendre part avec le même niveau d’engagement que s’il s’agissait d’une réunion de travail… ne vous (re)mettez pas à fumer pour autant…
Emmanuel GUÉDON